Frank La Barbe – Un ethnologue au cours Alpha
The Alpha course, a low-key method of evangelism founded by Church of England minister Nicky Gumble, is successfully spreading through churches around the world. Considered a revolutionary method, these courses plan to reveal to the students the ‘complete Gospel’ in about ten lessons. The course ends with the so-called ‘Holy Spirit week end’ in which participants can receive a prayer for the Holy Spirit by laying on of hands. This paper is based upon a case study in a French evangelical church.
PentecoStudies, vol. 6, no. 2, 2007, p. 150–187
Frank La Barbe, Un ethnologue au cours Alpha. Evangélisation et
cure d’âme en milieu charismatique - Un exemple montpellierainISSN 1871-777691
Un ethnologue au cours Alpha
Evangélisation et cure d’âme en milieu charismatique - Un exemple montpellierain
Frank
La Barbe
Université de
Montpellier III
Introduction
Cela fait maintenant plusieurs années que se développe dans les églises chrétiennes du monde entier une méthode d’évangélisation dénommée «cours alpha». En France, sa progression est si rapide qu’elle a eu parfois les honneurs de la presse écrite voire du journal télévisé.i
Cette façon innovante de présenter le message de l’Evangile explique certainement en grande partie la célébrité dont jouissent aujourd’hui les cours aux yeux et aux oreilles d’un assez large public. En effet, le succès rapide et incontesté qu’ils connaissent leur apporte une notoriété et une unanimité indéniables au sein du christianisme rarement rencontrées dans l’histoire mouvementée des relations interconfessionnelles.ii
En les évaluant, certains évangélistes, n’hésitent pas à parler de « méthode d’évangélisation révolutionnaire ». Pour cela, ils s’appuient sur les résultats obtenus dans les églises les ayant adoptés ou les polémiques que les cours suscitent parmi les divers mouvements et dénominations.iii
Nous avons rencontré les cours alpha dans le cadre d’une église charismatique sur laquelle, entre autres paroisses, nous effectuons notre enquête ethnologique.
Il nous a donc été très facile de suivre une « promotion », celle de l’année 2001.iv
A cet effet, l’approche choisie pour rendre compte scientifiquement de cet aspect particulier de l’évangélisation, s’inscrit dans la plus fidèle tradition ethnologique : l’observation participante. Dans cette perspective, le chercheur doit acquérir un véritable « sens des autres »en se faisant oublier des personnes qu’il observe et en partageant le plus intimement possible le fait observé. Il doit opérer une immersion totale dans le groupe, objet de toutes ses attentions en se transformant en un acteur comme un autre même si, pour de nombreuses raisons d’ordre éthique, philosophique et pratique cet idéal est difficilement atteint. Il ne doit pas pour autant perdre de vue son objectif (Laplantine 1996 :20), décrire le fait observé dans ses moindres détails sans se laisser aller, dans la mesure du possible, vers des a priori issus de sa propre culture (Boudon 1992:iv).
En effet, la plupart des personnes ayant entendu parler des cours alpha n’en ont qu’une vague idée. La description ethnographique ainsi optimisée, permet de faire partager la réalité des faits, et de rendre compte de l’atmosphère du moment décrit « comme si on y était ». Cette exigence méthodologique est donc en quelque sorte le garant de la scientificité de l’ethnologue.
Cependant, pour ne pas être pris au piège de la sur-interprétation, mal qui guette toute investigation sur le social lorsqu’il touche plus particulièrement l’expression du sacré (Piette 2000:129), nous nous sommes efforcés d’éviter les écueils de l’athéisme méthodologique pour tenter d’appréhender ce qu’Albert Piette (1996:68-69) nomme «le religieux en train de se faire».v Cette démarche permettrait au chercheur de tendre plus efficacement vers l’objectivisme.vi
Cet article a donc pour but la description ethnographique d’un certain nombre de situations des cours alpha qui apparaissent à nos yeux comme révélateurs de la «culture religieuse» que ces cours divulguent et leur évaluation précise en termes ethnologiques dans le but d’enrichir l’approche global de l’espace du religieux contemporain et de ses relations avec le social.
Breve Presentation des Cours Alpha
Une origine anglo-saxonne
Les cours alpha sont nés au Royaume Uni. Ils sont l’œuvre d’un homme, Nicky Gumble, l’un des membres de l’équipe pastorale de l’église anglicane londonienne de la Sainte Trinité de Brompton.
Ils se présentent sous la forme de dix conférences vidéo de vingt cinq minutes environ développant chacune un sujet précis. Ces conférences filmées se déroulent dans le temple même de la paroisse de Brompton.
La personnalité de Nicky Gumble n’est pas étrangère au succès de cette méthode. Elle paraît même être l’atout principal de sa forme originale tant appréciée. Si l’on en croit les cours eux-mêmes, Nicky Gumble se présente comme un ancien avocat devenu pasteur en 1986. La quatrième de couverture de la brochure qu’il a écrit sous le titre Pourquoi Jésus ? (Gumble 1998 ; 1991) précise qu’il a fait son droit à Cambridge et sa théologie à Oxford.vii D’autres sources le disent ancien financier, rompu aux techniques du « marketing » ou encore ancien chasseur de têtes.viii Il semble, d’après le responsable des cours pour le CLÉ, londonien d’origine, et du Courier International que la thèse faisant de Nicky Gumble un ancien avocat soit celle à retenir.ix Quoi qu’il en soit, Nicky Gumble est un orateur hors pair, alliant humour, précision, érudition avec un brin de flegme dans la plus pure tradition britannique.x
C’est en 1990 qu’il a repris dans sa paroisse le système des cours alpha. Il prend la suite de Charles Marnham également pasteur à la Holy Trinity de Brompton qui serait l’instigateur des cours en 1977. Mais c’est Nicky Gumble qui leur donne sa forme actuelle ; particularisme qu’il résume par une phrase lapidaire : « It’s friends bringing friends ».xi Devant leur succès grandissant, dû en grande partie au bouche à oreille, les cours sortent du cadre de la paroisse, se répandent ailleurs à Londres, puis dans tout le Royaume-Uni pour enfin atteindre en quelques années l’ensemble de la planète.xii Comment peut s’expliquer un succès si fulgurant ? Si la réponse exhaustive à cette question dépasse le cadre de cet article, nous pouvons toutefois proposer une piste de réflexion.xiii
Une œuvre de «culture charismatique»
Le succès, mis à part la personnalité de Nicky Gumble que nous venons de présenter, dépendrait également de la forme innovante donnée aux cours et revendiquée comme source d’efficacité par les responsables officiels eux-mêmes mais il dépendrait également de « l’espace de liberté » concédé dans l’approche des fondements de la théologie chrétienne, à savoir l’interprétation que les responsables locaux peuvent faire de la « matière première » délivrée par Nicky Gumble.xiv
Cet « espace de liberté » est donc ce que l’on peut appeler le fond œcuménique des cours alpha. La façon d’appréhender la réalité de la Trinité se veut délibérément en dehors de toute pensée scolastique. Dans les cours, aucune trace d’adhésion a une tradition religieuse précise. L’orateur cite pèle mêle l’Ancien Testament, le Nouveau Testament, Tacite, St Augustin, Jean Paul II, Suétone, Moody, Mère Térésa, Mgr Suenens, St Bernard et même le Père Joseph !... a l’opposé de tout catéchisme confessionnel tel qu’ils se présentent à nous.
L’orientation charismatique des coursest un facteur explicatif indéniable de cet « œcuménisme de fait » voulu par le fondateur.xv Cela correspond à la recherche globale du mouvement charismatique, qui, comme tout mouvement de réforme, aspire à la (re) découverte de la pureté du message évangélique opacifié avec le temps. Message universel anhistorique et message d’unité de tous les chrétiens quelles que soient leurs dénominations.xvi
Cette quête perpétuelle du nouveau, du moderne, de l’actuel est donc perçue en règle générale à la fois comme un signe garantissant le principe de l’atemporalité du message biblique et une condition nécessaire pour asseoir son succès. Les accointances du message évangélique avec les nouvelles formes de communication et les forces d’innovation adaptées à la réalité sociale globale seraient l’expression, en quelque sorte, de l’efficacité recherchée par le courant charismatique dans sa pratique de l’évangélisation.xvii Le désir des charismatiques de demeurer un mouvement incarnant sa raison d’être dans le monde social tel qu’il est répond également à leur volonté de déconstruire l’image biaisée du chrétien que se font, selon eux, les autres dénominations : un individu agissant pour changer un monde tel qu’il devrait être.xviii Cette dernière espérance, illusoire et utopique dans le sens où elle se base sur une vision linéaire et évolutionniste de la condition de chrétien (la conversion définit comme un départ et non comme une fin), est perçue en milieux charismatiques comme fille de la religiosité et du légalisme, c’est à dire en quelque sorte, comme un frein à l’efficacité de l’annonce de l’Evangile.xix
Observer les Cours
Constituer le groupe de la session 2001
Comme bien d’autres églises de la mouvance évangélique, le CLÉ est une paroisse résolument tournée vers l’évangélisation.xx Au-delà du culte dominical et des réunions de quartiers ou de prières qui jalonnent la semaine des paroissiens, l’église s’efforce de mettre en place des stratégies communicationnelles lui permettant de toucher le plus de personnes extérieures possibles.xxi
Alors que nous fréquentons depuis peu cette église, part importante de notre terrain d’ethnologue, il nous est donné d’assister à un culte « café croissant ».xxii Ce principe pour le moins original allie un dimanche par an le contenu d’une réunion d’évangélisation traditionnelle, à la prise en commun d’un petit déjeuner dans une atmosphère conviviale.xxiii Ce culte atypique se déroule dans une salle prêtée pour l’occasion. C’est le moment, pour les paroissiens « d’inviter les amis, les voisins et la famille afin de leur témoigner de l’Évangile ».xxiv
Le culte café croissant de l’année 2001 rassemble environ cent cinquante personnes dans une salle de la paroisse Sainte Thérèse.xxv
Son contenu s’articule autour de trois temps: la louange, un récit de conversion « extraordinaire », livré par un ancien narcotrafiquant colombien ayant miraculeusement échappé à la mort (un des membres de l’équipe pastorale actuelle du CLÉ), et un montage audio vidéo, œuvre du pasteur en titre reprenant, d’une manière actualisée, la parabole de la Samaritaine (Jean : IV). Attablée et repue, l’assemblée écoute et regarde, attentive. Sur les tables, sont disposés des tracs invitant le public à suivre les cours alpha. En fin de culte, une annonce du pasteur précise les modalités d’inscription aux cours. Comme quelques personnes présentes ce jour là, nous nous inscrivons.xxvi
Ethnographie des cours alpha
Du premier cours...
C’est donc le lundi 18 mars qu’a lieu le premier cours alpha dans les locaux du CLÉ. Comme beaucoup d’églises du protestantisme évangélique, la bâtisse qui abrite les rassemblements du CLÉ n’a pas toujours été un temple. Elle se situe à l’ouest de l’agglomération montpelliéraine, dans une zone commerciale, coincé entre un supermarché et un Fast food « Mac Donald’s ». C’est d’ailleurs un ancien entrepôt reconverti en lieu de culte qui fait office de temple. Une étonnante croix occitane peinte en bleu foncé, bien visible, surmontant le mot CLÉ sa traduction et les coordonnées de son site Internet, indique au visiteur, que contrairement aux apparences, il est bien en présence d’un temple.xxvii
Le bâtiment est divisé en deux parties. Un escalier large et droit mène directement à un étage, le ré de chaussée étant alloué à une société. A gauche de l’escalier, une vaste salle sert de lieu de culte; à droite, se dispachent des salles annexes et les sanitaires. Une allée de drapeaux colorés en nylon représentants des pays du monde entier jalonne à la façon d’une haie d’honneur la montée de l’escalier et lui donne de la couleur là où domine le gris et le marron.xxviii Au passage je reconnais la Colombie, le Royaume Uni, la Corée du sud, le Canada et le Maroc. Une des salles annexes, la plus vaste, est éclairée artificiellement en ce début de crépuscule.
A l’intérieur, trois personnes sont présentes et s’affairent : une femme d’environ quarante ans, deux hommes d’environ cinquante cinq et trente cinq ans. Je me présente à eux. A leur tour, ils se présentent à moi : Isabelle, Richard et Jean-Pierre, le plus âgé. Isabelle cherche alors mon badge autocollant sur lequel, en majuscules figurent les cinq lettres de mon prénom. Mon inscription au préalable lors du culte café croissant lui a effectivement indiqué la participation d’un Frank.
Le tutoiement est automatique. Pas de formalité ou de signes de bienséance superflus. Toute marque de distance est éliminée au profit des marques de sympathie. Cela peut s’expliquer par le fait que la démarche de suivre les cours est volontaire, ce qui légitime automatiquement dans les esprits de mes interlocuteurs la pratique de relations de proximité. La conséquence de cette présupposition implique qu’ils me considèrent dans un état d’attente, d’ouverture voire de détresse plus ou moins conscientisé donc en recherche même de proximité (Wittgenstein 2002:109). Ce traitement me rappelle instantanément le « cher collègue » de l’éducation nationale, autre haut lieu du tutoiement institutionnalisé mais a priori pour des raisons bien plus formelles.
Ces trois personnes sont donc des membres du CLÉ. Ils se connaissent bien et usent chaleureusement de la plaisanterie entre eux, ce qui ne les empêche pas de s’affairer énergiquement et méthodiquement pour que tout soit prêt à l’heure.xxix
La salle est austère. Aucune décoration ne l’embellie. L’atmosphère est « spartiate ». Les plafonds sont bas et bien qu’une cuisine « à l’Américaine » occupe un coin de la pièce, la moquette industrielle grise et le faux plafond en placoplâtre quadrillé jalonné de longs néons à la lumière agressive trahissent la fonction première dévolue à ce lieu : celle de bureau.xxx Trois tables rectangulaires sont dressées dans la salle : nappes de papier bleu, assiettes, pain, vin et couverts en plastique y ont été disposés.
Je suis donc bien accueilli. On s’empresse de savoir ce que je fais dans la vie, par quel moyen j’ai connu les cours et si j’appartiens à une sensibilité religieuse quelconque.xxxi Il me faut masquer dans un premier temps, les intentions scientifiques qui m’animent.xxxii Je reste donc le plus évasif possible dans mes réponses, me retranchant derrière mon activité professionnelle de professeur d’Histoire.
Richard a le contact facile. Son accent trahi son origine britannique. Nous entrons très rapidement dans une discussion amicale et détendue à propos des différences de mentalité et de pratiques culturelles entre la France et l’Angleterre. Au fur et à mesure que l’heure avance, les participants arrivent.
Vers 19 heures 20, le groupe comporte environ une vingtaine de personnes. Richard, après s’être concerté avec Isabelle, regarde sa montre et invite l’assemblée à se mettre à table. Machinalement, je prends place à la table la plus proche. Huit personnes m’entourent. Richard et Jean-Pierre en font parti. Isabelle prend place ailleurs.
Le repas est simple mais bon. Des parts de taboulé maison ont été, au préalable, délicatement disposés dans chaque assiette. C’est le moment de faire connaissance avec les voisins de tablée. Rituellement, tout le monde se présente à tour de rôle aux autres membres.
Face à moi se trouve Christiane. C’est une femme de cinquante ans environ, membre du CLÉ. Cette ancienne catholique, agrégée d’histoire, enseigne en lycée ; une collègue ! Son discours de présentation est très réfléchi. L’énoncé est clair, court, précis. Ses manières son apparence et sa retenue laissent transparaître son appartenance à la classe bourgeoise.
Sur sa gauche, se trouve Christine. C’est une petite femme d’environ cinquante cinq ans veuve et sans emploi. Elle semble très discrète au premier abord, cachée derrière de larges lunettes teintées. Cette catholique vient de Lattes et s’est inscrite au cours lors du culte café croissant auquel elle a assisté sur l’invitation d’une amie. Son air mélancolique la rend très entourée. Christiane passe le repas à discuter avec elle. A ses côtés, se trouve Rose, femme d’environ trente ans, d’apparence frêle et sensible. Cette aide-soignante catholique est très ouverte, et nous explique que sa présence répond à un besoin qui se fait sentir depuis quelques temps.
Sur ma droite, Richard écoute avec attention les présentations. Puis, à son tour, il se présente en quelques mots. La parole est maintenant à Thérèse. C’est une femme joviale de cinquante cinq ans environ se définissant comme « sans religion » et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le contact pour elle est facile et l’humour est partie intégrante de son mode d’expression. Elle est là par curiosité, sur les conseils d’une amie.
Jean-Pierre se présente à son tour. Son expression est simple et son élocution difficile à suivre. Son air « bourru », ses bras croisés le placent derechef en retrait par rapport au groupe. Cet ancien catholique, policier de la B.A.C. retraité ne paraît pas pour autant moins motivé.
En revanche Céline, son épouse, est très souriante. D’origine « pied noir », cette ancienne catholique pratiquante est très présente dans l’église. D’ailleurs, c’est elle qui assume la mission délicate de préparer les repas pour les cours, ce qui lui vaut les applaudissements de l’assemblée en fin de repas.
Tels sont mes interlocuteurs privilégiés durant les huit semaines que dureront les rendez-vous du lundi soir car les tablées ainsi formées ont servi à constituer les trois sous-groupes de cette session, à l’insu des intéressés.xxxiii Et chaque lundi, d’aucuns retrouvera sa table habituelle voire la même place qu’il occupait dès la première séance.
A vingt heures, Richard, nous presse poliment. Il faut débarrasser les tables et mettre en place le magnétoscope. Promptement, toute l’assemblée met la main à la pâte. Les tables sont rapidement débarrassées et rangées dans le fond de la pièce, l’une sur l’autre. Sur un coin du bar, à côté de la porte d’entrée, une tirelire discrètement placée rappelle la participation financière demandée afin de couvrir les frais de bouche.
Franck, jeune homme souriant d’environ trente ans, arrivé durant le repas, se charge de la mise en route du magnétoscope. Pendant ce temps, Richard distribue aux membres le Manuel des cours Alpha.xxxiv C’est un livret à la facture très soignée estampillé du logo des cours. Il reprend, en dix chapitres les sessions de la vidéo et se présente en quelque sorte comme un pense-bête. Après une brève présentation du thème de la soirée, Franck invite l’assemblée à se recueillir dans la prière. Celle-ci est courte et présente à Dieu les participants afin qu’ils soient à l’écoute du message. Puis, pendant vingt minutes environ, la cassette défile et l’assemblée découvre Nicky Gumble disserter sur « Qui est Jésus ? ». Les vingt auditeurs sont attentifs. Nicky Gumble mélange érudition, humour et interpellation avec une verve sans pareille. Les rires francs de mes voisines et voisins au fil des boutades que lance l’orateur rythment la diffusion. La fin de la cassette annonce le deuxième temps de la soirée, celui du partage en commun.
Il est vingt heures trente. Les trois animateurs prennent alors leur troupe en charge.
Richard entraîne son groupe dans un bureau annexe.xxxv Une vaste table de réunion ovale permet aux huit participants que nous sommes de nous placer en vis-à-vis.
Richard, en maître de cérémonie, enclenche la discussion : « Pour vous, qui est Jésus ? » lance t-il sans plus de précisions. Quelque peu déconcerté, le groupe peine à réagir. Christiane, en professionnelle du débat lance la discussion. Sa définition de Jésus insiste sur sa fonction d’apaisement, de pacificateur des cœurs. Elle en fait un régulateur des dysfonctionnements de la personnalité. Thérèse réagit : « C’est un super mec ! » affirme t-elle avec ironie. Ces deux interventions décrispent l’assemblée. Richard s’applique à ce que chaque membre donne son opinion. Ainsi, deux groupes se détachent.
Le discours du premier groupe, constitué par les membres du CLÉ, se résume de fait au rappel succinct de leur expérience de conversion et à leur ressenti concernant leur relation à Jésus Christ. Jean-Pierre, par exemple, en appelle à la vision qui l’assaillit littéralement lors de son expérience de conversion ; celle de Jésus souffrant sur la croix « qu’il pouvait presque toucher »et qui lui arracha larmes et remords tant son regard était perçant. Son récit ressemble d’une manière frappante aux récits de bien des vocations mystiques, comme celle de Marguerite-Marie Alacoque par exemple(1648-1690) (Bastide 1996 :30-38).xxxvi Richard quant à lui, remonte à son enfance, dans une famille anglicane pieuse et son engagement à « suivre le Seigneur » à onze ans, au sortir de l’enfance, le plus naturellement du monde.
Le deuxième groupe qui rassemble les visiteurs est logiquement plus dubitatif. Rose et Christine sont les plus prolixes d’entre nous. Toutes deux font part de leur recherche respective. Rose, dans son exposé, semble maîtriser les rudiments de la réflexion autour de la question de la nature du Christ. Il est le « consolateur », « l’ami quand tout va mal », mais sa recherche n’est pas aboutit, nous confie t-elle. De nombreuses questions restent en suspend dans son esprit. Christine quant à elle, partage son désespoir avec le groupe concernant la perte de deux êtres chers qui la hante depuis quelques temps. Si Jésus peut l’aider à retrouver ces êtres chéris, pourquoi ne pas le connaître lance t-elle. Tout le monde est très attentif même si de longs silences rythment cérémonieusement les prises de paroles des uns et des autres. L’ambiance est à l’introspection, en apparence tout du moins. Mais l’heure tourne. Richard clôt la séance par une courte prière. Puis, les discussions reprennent alors d’une manière informelle à deux ou plusieurs personnes. Les trois groupes se retrouvent bientôt dans la salle principale. Il est vingt deux heures, et l’assemblée se disloque petit à petit, chacun prenant congé des uns et des autres. Rendez-vous est pris pour lundi prochain.
…à la délivrance de Christine
Les lundis se suivent selon le calendrier établit au préalable par l’équipe dirigeante. Les participants prennent rapidement leurs marques et les mêmes gestes se répètent rituellement chaque semaine. Ainsi les amitiés se construisent selon les affinités. Mais les contacts entre « sous-groupes » sont rares, exceptés pour Isabelle et Richard qui font fréquemment le point ainsi que pour les autres membres du CLE qui les accompagnent dans les groupes. Les personnes étrangères, effectivement, ne sont pas amenées à se rencontrer autrement que durant le repas. Les sessions ne comportent pas de réunions communes. Pris en charge par leurs interlocuteurs privilégiés, les personnes étrangères au CLE (dont bien entendu nous sommes), ne recherchent pas le contact de tous les acteurs en lice. Ils se contentent d’approfondir les relations avec leurs personnes « référentes ». Les petits groupes sont évidemment plus propices aux confessions que les grands rassemblements.
Le système des sous-groupes agit alors comme un puissant catalyseur entre les participants. Toutes les semaines, c’est à l’intérieur du sous-groupe que se construit une histoire particulière, partagée et tissée au fil du temps par les membres de cette « communauté affective » mais ignorée des autres sous-groupes.
Ces affinités électives de fait ont pour conséquence l’élaboration de liens étroits.xxxvii
Au fil des soirées, le groupe de Richard prend une tournure particulière. Rose et Christine s’affirment comme les individus les plus « motivés » et les plus touchés par les réflexions de Richard ou des autres membres du CLÉ.xxxviii Mais Christine demeure focalisée sur une épreuve qui la toucha récemment et revenant d’une manière récurrente dans les discussions au fil des rencontres dès le premier lundi, celle de la perte de deux êtres chers. Cette confession récurrente a pour conséquence sa prise en charge par Christiane et Richard. Elle se retrouve dès lors très entourée.
Durant le cinquième cours, qui a pour sujet « pourquoi Jésus est-il mort ? », Christine nous livre le fond de son mal être. Comme pour les séances précédentes, le discours de Nicky Gumble, pourtant très bien construit, n’est pas exploité dans la discussion par Richard.xxxix En revanche, une anecdote n’a pas échappé à Christine pendant la projection.xl Celle-ci met en scène un ami de Nicky Gumble de quarante deux ans qui lors d’une promenade et contre toute attente trépasse à ses côtés suite à une crise cardiaque aussi fatale qu’inattendue. Nicky Gumble a beau prier pour la résurrection de son ami, fort de sa foi inébranlable, rien n'y fait. Il doit se rendre à l’évidence : son ami ne reviendra pas à la vie.xli Christine a tout de suite, nous dit-elle, fait le lien avec sa propre histoire de vie. Très attentif à ses paroles, Richard lui propose de nous expliquer plus en détails son mal être, ce qu’elle fait sans hésitations. Après la mort de sa mère, est advenue celle de son mari, deux êtres extrêmement chers à ses yeux. A cette souffrance aiguë est venue se surajouter la conduite d’une sœur indigne qui a causé une blessure profonde chez Christine. Une blessure qui lui procure un mal « irréparable ».
L’assemblée est silencieuse et concentrée, captivée par cette confession. L’atmosphère est grave et tendue. Plus le temps s’écoule et plus Christine peine à exprimer sa douleur, envahie de tristesse et de désespoir. Richard lui propose alors de prier à haute voix, afin « de demander que Dieu la libère de ce poids ». Christine s’exécute, mais flanche de nouveau, incapable d’aligner une phrase cohérente. Sans hésiter, Richard lui propose de prier pour elle. Soulagée, elle accepte. Richard se lève alors, suivit par Jean Pierre. Les deux hommes se placent derrière elle et appuient leurs mains sur ses épaules et sur sa tête. Christiane, quant à elle, qui se trouve assise juste à ses côtés, lui prend la main et le bras droits. Richard se met immédiatement à prier à haute voix. Le ton qu’il emploie est alerte. Il demande à Jésus la libération de l’esprit de Christine. Puis il intercède afin que le Saint Esprit libère son âme emprisonnée en rompant les chaînes qui la lient et l’empêchent de connaître la grâce de Dieu. Depuis le commencement de l’intercession, Christine est prise d’un tremblement saccadé qui s’amplifie parallèlement au ton de plus en plus affirmé que prend Richard. Ces spasmes réguliers ne cessent qu’à la fin de la prière qui se conclue par un « amen » collectif. Puis, chacun retrouve sa place. Richard clôt alors la séance sans plus de détails. De son côté, Christiane s’empresse de recueillir les impressions de sa voisine. « Je me sens libérée, et très bien, apaisée et euphorique. J’ai vu un cœur entouré d’innombrables chaînes qui explosaient à mesure que Richard priait. Puis une impression de fraîcheur m’a traversée, de la tête jusqu’aux pieds » lui livre t-elle. La petite assemblée, comme à son habitude, se disperse. Richard qui a compris que cette séance a du particulièrement m’intéresser en tant que chercheur, s’excuse de ne pas avoir laisser la parole aux autres membres lors de cette soirée. Il invoque le fait qu’il a reçu, ce même jour, vers 19 heures, l’assurance que le Saint Esprit l’avait prévenu que cette soirée était celle de Christine. Il enracine par cette remarque, l'agir charismatique dans une tradition anthropologique universelle concernant les rapports qu'entretient l'homme et la divinité, comme le remarque C. Guignebert : « L'inspiration, conçue comme moyen de communication ente Dieu et l'homme, est d'usage quasi universel » xlii
Regard Ethnologique
Redonner sens à la place de l’individu dans le groupe
Le cas de Christine, décrit ci-dessus, montre à l’évidence le premier objectif implicite des cours alpha même si celui-ci n’est pas le seul. Celui de redonner à l’individu une confiance en lui, confiance qu’il aurait perdue ou qu’il n’aurait jamais eu. Dans ce cas, les cours alpha rejoignent le sens dévolu traditionnellement à l’évangélisation dans les milieux évangéliques.xliii Après coup, le récit de vie qu’a livré Christine illustre parfaitement cette entreprise de reconstruction de la personnalité. Nous pouvons le comparer à deux autres sources issues l’une d’autres cours alpha, la seconde de conversions dans les milieux évangéliques québécois.xliv Cependant, cette reconstruction de l’individu ne prend sens qu’en fonction d’une lecture du lien social tissé en amont de cette expérience au travers des contenus des cours. S’arrêter sur le seul plan psychologique évident serait se priver de la dimension anthropologique du fait observé, car il ne peut y avoir de reconstruction de la personne sans cadre social lui étant associée. D’autre part, la reconstruction de la personnalité souhaitée par les cours alpha, n’a de sens que dans le cadre d’une double rencontre, d’abord celle de Dieu puis celle d’un groupe, d’une famille spirituelle.
A la recherche de sens (perdu)
Le fait le plus prégnant communs aux récits de vie analysés dans le cadre de cette enquête reste sans conteste la recherche du sens de la vie au dire des intéressés eux-mêmes. Ainsi, pour Christine, les cours alpha l’ont sauvé d’un suicide annoncé : « Une semaine plus tard, je me serais suicidée, tellement j’étais désespérée ».xlv Cet aveu résume en lui-même le contenu de tous les cas traités dans la littérature précédemment citée.xlvi Le problème de Christine ne relève donc pas d’un cas particulier. Bien au contraire, il semble être d’une grande banalité. Cela n’a pas échappé aux cours eux-mêmes. Le titre du prospectus de présentation distribué lors du culte café croissant en témoigne : « Une occasion de s’interroger sur le sens de la vie ». Il y a donc dans la conception même des cours une intuition phénoménologique, dans le sens où l’entend Michel Henry qui s’illustre par la volonté de répondre aux questions existentielles que se posent une catégorie de personnes définies comme ouvertes et en demande d’une certaine forme de socialisation. Cette socialisation désirée ne peut se gagner pour l’individu que par la prise de conscience de son ipséité, entrevue comme « …un Soi singulier qui s’étreint lui-même, qui s’affecte lui-même et jouit de soi, de telle façon que cette étreinte en laquelle le Soi s’étreint lui-même n’est pas différente de l’étreinte dans laquelle la vie se saisit elle-même » (Henry 2004 :25). Tout converti peut désormais faire sienne cette phrase de Mathieu Grimpat : « Je sais qui je suis et le monde entier fait désormais sens pour moi » (Hervieu-Leger 2001:85).
A ce stade de l’analyse, on ne peut considérer l’entreprise des cours alpha que comme une opération de restructuration de l’être en fonction d’une image bien précise de ce qu’est la société et du rôle qui incombe à chaque individu dans cette même société. Le discours double (et non le double discours) qui transparaît dans la pastorale des cours alpha ne se comprend alors qu’en intégrant les deux paramètres qui constituent ce que l’on pourrait nommer bien pompeusement « la théogonie charismatique ». Elle s’articule, pensons-nous, autour d’une problématique très complexe car relativement neuve dans la grande famille évangélique à laquelle elle appartient : comment après la conversion, l’individu peut-il allier vie communautaire engagée et vie sociale épanouie sans pour autant trahir les commandements bibliques sur lesquels reposent sa nouvelle conception de la vie ?xlvii Comment procéder afin qu’une vie communautaire engagée débouche nécessairement sur une vie sociale enrichissante ? Car le converti est désormais soumis à une dialectique qui lui apparaît secondairement visible et difficilement négociable. Il est revêtu d’une « double temporalité » en partageant dorénavant deux expressions culturelles distinctes ; celle avec qui il dialogue et qui l’a façonné bon an mal an depuis sa naissance en l’acceptant au quotidien sans trop l’évaluer et celle qu’il reçoit, après expérience surnaturelle et qui s’inscrit dans l’histoire en la personne du Jésus Christ de la Bible révélée.xlviii Comme la plupart des individus, le converti à conscience d’appartenir à la fois à une communauté et à une société. Cependant, ce qui le différencie des autres individus, c’est le fait que la société ne prenne du sens qu’au travers de la définition qu’en donne le consensus établi entre sa communauté et son libre arbitre. Celle-ci est désormais le filtre par lequel sa conscience transite dans la validation qu’il établit des actes et des pensées émanant des acteurs sociaux. Cette unité reconstituée correspond à la reconquête de la cohésion de la conscience personnelle selon la définition qu’en donne Dilthey : avoir conscience de toutes les expressions de la totalité que nous formons et des « ténèbres » d’où surgissent les manifestations de l’esprit (Dilthey 1996:23). Le sujet devient alors pleinement autonome.
Les cours alpha influencent t-ils délibérément les consciences vers une telle vision de la société ? Explicitement, ils ne se positionnent pas de la sorte, car leur but, s’il n’est pas religieux, se veut essentiellement spirituel, c’est-à-dire, en définitive, qu’ils ne recherchent pas à imposer un modèle social préétablit mais supposent qu’une philosophie de la vie issue de la foi s’imposera d’elle-même aux convertis.xlix Mais implicitement, leur définition de la société idéale est claire. C’est l’ordre social tel qu’il a(urait) été et qu’il peine à être aujourd’hui. Mariage, société de confiance, relations familiales ordonnées, consensus social, écoute... autant de valeurs illustrant symboliquement l’ordre social qui se serait perdu et qu’il faudrait retrouver. Ce sens idéal donné à la société, émanation du contrat social passé entre Dieu et les hommes rappelle sans équivoque possible l’âge d’Or de la Chrétienté ou plus exactement l’image de l’age d’Or de la Chrétienté que l’on fabrique au gré des idéalisations ; l’âge qui a façonné dans l’histoire une certaine idée de l’individu occidental, mais aussi celui qui a poussé l’Occident à sa propre décadence, en enfantant la modernité et le discours critique lui étant sous jaçant (Ellul 2003:11-35). Dans ce sens, les cassettes de Nicky Gumble contiennent bien une critique sociale implicite en dénonçant « ce qui ne va pas chez les individus ». Cette critique sociale, appuyée par une définition intimiste des rapports de l’homme à la religion, plonge directement ses racines dans la plus pure tradition de la philosophie de la religion du XIXème siècle romantique telle que la développe, par exemple, Friederich Schleiermacher, en donnant aux interprétations personnelles et subjectives du phénomène religieux un statut de facteur explicatif. Cette conception peut ainsi se résumer en quelques points, communs à toutes les démarches de cet ordre (Schleiermacher 1944):
L’expérience individuelle entendue comme norme de validation du sentiment religieux
Le mépris des formes institutionnalisées de la religion comme fondement du salut
Le discernement entre l’éthique, relevant d’un art d’organiser le quotidien et la religion relevant d’un goût de contempler l’univers
La religion vécue comme une relation du particulier avec la totalité, donc comme une expérience de la limite et de l’individuation mais aussi comme une rencontre de la cohérence de l’être dans son entier
La religion vécue comme sentiment, c’est-à-dire en tant qu’attitude, disposition positive vis-à-vis de l’univers
La religion considérée comme coextensive à l’homme, mais dont le sens lui est volontairement caché. Sa découverte, allant de paire avec la libération de son véritable « moi », émergeant à sa conscience aux moments forts de la vie grâce à une intuition causale
L’expérience primordiale de l’individu comme seul critère valide d’une vraie religion
La différence d’essence et de nature entre la caste des prêtres et des laïcs étant alors caduque
Enfin, le rejet radical de l’imprécation de l’Etat dans les choses de la religion comme condition vitale de sa propre existence.
L’ensemble de ces concepts, rapportés à la réalité sociale actuelle ne peut, en définitive que plonger l’adepte de cette philosophie dans une situation de coupure volontaire avec ses semblables, au sens où l’entend Roger Bastide. Et c’est, à notre sens, la gestion positive des conséquences sociales de cette coupure que propose par le biais des cours alpha, le discours gumblien sur la religion.l Que reste t-il de la conception chrétienne de la société aujourd’hui ? Se posent sempiternellement les conférences de Nicky Gumble. Pas grand’ chose, certes, mais, rajoute t-il, ce n’est pas le plus important. L’essentiel est ailleurs, a priori, car l’idéal recherché dans la conversion ne s’incarne pas dans un activisme mondain salvateur.
Il ne faut pas perdre de vue pour autant le point de vue de l’intéressée. Christine a t-elle pris conscience qu’elle était devenue un individu marginal devant gérer au quotidien cette coupure volontaire, élément fondateur de son appartenance communautaire?li Son impasse existentielle, l’a mise dans une position d’attente. Cela se vérifie, comme nous l’avons souligné précédemment par l’accueil dont nous avons été nous-même l’objet lors de la première séance. Et le comportement de l’équipe dirigeante vis-à-vis des candidats volontaires indique qu’elle est formée à accueillir les personnes vivant une épreuve identique.lii Le converti est donc un individu qui prend conscience à la fois de la causalité externe, c’est à dire de l’ « action exercée par le milieu social » et de la causalité interne des faits, c’est à dire l’ « action transformatrice que le milieu psychique individuel fait subir à ces stimuli venus du dehors » et qui édifient toutes deux sa personnalité. Il intègre de ce fait dans la compréhension qu’il a du monde, ces deux moments dans un processus dialectique, fondement de sa propre ipséité en articulant l’adaptation au social et l’intégration de sa personnalité (Bastide 1956 :92-93).
La construction de l’individu vu par les cours alpha : le sous-entendu idéologique
Ordre et individu apparaissent comme les deux notions centrales de l’idéologie des cours alpha. Rien d’étonnant à cela puisque le but avoué est la conversion personnelle de l’individu. Cette idéologie s’applique donc à articuler ces deux notions pour donner un sens global au discours qui la soutient.
Dans un premier temps, les cours posent un constat déterminé au préalable. L’individu « du monde » vit des dysfonctionnements. Ceux-ci sont du à une coupure entre Dieu et l’Homme. Cette situation débouche pour lui sur une erreur d’appréciation, parfois volontaire, mais qui parfois s’impose d’elle-même, atrophiant et pervertissant l’appréhension du monde par la conscience. Elle le handicapent, sur le plan affectif comme sur le plan social en réduisant son potentiel humain a un fonctionnement soumis aux règles des passions humaines. Les cassettes projetées semaines après semaines ont donc pour premier objectif de placer l’individu dans une situation de questionnement existentiel vis-à-vis des phénomènes qui forment la réalité du monde dans lequel il évolue.liii
Dans un deuxième temps, les cours apportent la réponse à ce questionnement par une approche christocentrique du problème. Rétablir la connexion entre Dieu et l’homme n’est possible qu’en prenant conscience de la réalité de Jésus Christ d’une part, et de sa nature d’autre part. Cette prise de conscience, autrement appelée conversion, est en fait le but ultime vers lequel tend le cours alpha. Pour y parvenir, c’est-à-dire pour faire adhérer à ce projet un nombre conséquent d’impétrants, la personne de Jésus Christ est présentée selon des catégories de pensée qui relèvent d’une théologie « rationnelle ». Il s’agit de mettre en exergue le potentiel humain que revêt la personne de Jésus Christ, en tant qu’artisan de la réconciliation de l’individu avec lui-même et/ou avec autrui. Les termes de « frère » et d’« ami », fréquemment employés pour le qualifier, expriment au mieux ces caractéristiques humaines. Cependant, c’est sur l’expérience personnelle de Jésus-Christ, ce qui, en définitive serait arrivé à Christine, qu’insistent les cours Alpha, se positionnant de la sorte comme christianisme de conversion. L’expérience comme le rappelle Jean-Paul Willaime (1999:23), étant « incontestablement un critère moderne de vérité ».
Enfin, dans un troisième temps, les cours proposent au nouveau converti l’enracinement de sa démarche dans la sphère spirituelle par l’intermédiaire de l’action du Saint Esprit, présenté comme l’acteur principal de la régénération vue au sens propre comme la reconstitution des rapports « naturels » existants entre Dieu et l’homme, sa créature.
Ainsi, la théologie qu’illustre le contenu des cours alpha s’articule autour de la rencontre du couple Jésus Christ – Saint-Esprit. Si la divinité du Christ est bien entendu loin d’être niée, elle n’apparaît qu’indirectement dans le discours, au second plan. Les cours, sur ce point, se positionnent dans la plus pure tradition chrétienne occidentale, tradition qui insiste sur la mise en avant de la nature humaine du Christ, proche d’une humanité souffrante. Le Saint-Esprit agit alors comme un révélateur. Son action valide un engagement à tendance affective en le transformant en démarche spirituelle. En étant baptisé du Saint-Esprit, le converti, à l’issu du « week-end du Saint Esprit », cérémonie conviviale qui clôture la session des cours, s’engage plus en avant avec Jésus Christ, c’est-à-dire qu’il prend conscience à la fois de la réalité de sa situation passée et présente et de son rôle spirituel, au milieu de cette humanité souffrante (Preiss 1946:12). Cette conception peut être présentée comme une voie médiane entre traditions chrétiennes orientale et occidentale que les historiens du christianisme opposent dans leur conception respective (Fromaget 1991:204-205). Les cours alpha proposent effectivement une anthropologie ternaire face à l’anthropologie binaire habituellement soumise à la réflexion sur l’individu en Occident. Mais cette anthropologie qui articule savamment le corps, l’âme et l’esprit ne renie en aucun cas, comme le montre le discours normatif sur la personne du Christ, l’héritage de la théologie occidentale comme l’expression d’une sensibilité religieuse historique structurante. Cette position délibérée participe aussi, pensons-nous, au succès des cours alpha rendu visible par la quasi unanimité dont ils sont l’objet parmi les Eglises historiques et que nous soulignons en introduction. Mais elle est également à l’origine du désaccord qui alimente la controverse à leur sujet, et ce, plus particulièrement au sein des Eglises réformées de France. C’est qu’une telle immixtion du Saint Esprit dans sa théologie la bouscule dans ses fondements mêmes ; elle dont la construction identitaire s’est effectuée, en grande partie, dans le contexte historique du XVIIIème siècle et de la Révolution Française. Cet acte de (re)naissance est le résultat volontaire d’une adhésion idéologique aux projets des Lumières. L’Eglise réformée de France a donc historiquement, depuis son renouveau de l’après Révolution, inscrit sa démarche spirituelle dans le combat contre l’irrationnel et l’obscurantisme incarné par l’Eglise catholique. Ce retour « en force » du spiritualisme dont témoigne les cours, ne peut que rendre réticentes les autorités de cette Eglise à leur sujet et interpeller les fondements même de la culture réformée bien que, et c’est précisément ici selon nous qu’il faut se garder de toute tentative de généralisation, des paroisses réformées fassent appel aux cours Alpha, influencées par l’émulation que le succès de ces cours, que nous rappelons en introduction, provoquent parmi les dirigeants de paroisses. Le système presbytéro-synodale et l’autonomie laissée aux paroisses locales permettent une grande marge de manœuvre pour les pasteurs désirant mettre les cours en place.
Intégrer l’individu dans une nouvelle dimension sociale
Si les cours alpha ont pour tâche essentielle la conversion de l’individu à la foi chrétienne par l’expérimentation de la rencontre de Jésus-Christ, cette conversion personnelle, radicale, comporte selon la définition qu’en donne les cours, une dimension sociale qui n’est pas laissée de côté dans le discours. Tous les récits de conversion étudiés, issus des cours alpha, soulignent sans exception l’adhésion forte des convertis aux formes de sociabilité symbolisant à elles seules la « vie réussie ». Ces formes de sociabilité suivent deux axes principaux. Celui de la famille et celui de la citoyenneté.
La famille restituée
La totalité des récits de conversion portés à notre connaissance lors de cette enquête, que se soient les récits issus de sources orales directes ou ceux issus de sources écrites indirectes peuvent se résumer, finalement, par l’histoire d’une restitution ou d’une reconstruction familiale. Le schéma directeur, à ce propos, se résume en trois points.
La première phase de ce cheminement vers la conversion que rapportent les individus dans leur récit met en scène deux réalités préhensibles s’agençant selon une loi de causalité implicite : Le dysfonctionnement interne de la personne comme cause ou conséquence des rapports dégradés avec les membres de sa famille. C’est le mari et l’épouse qui en sont, statistiquement les premières « victimes ». Ce fait peut-être révélateur, mais il est d’abord du à la sureprésentation de la classe d’âge que l’on peut nommer, sans risque de se tromper, la « classe d’âge de la crise du couple conjugal », les 30-45 ans pour être plus précis. Christine, par définition, n’entre pas dans ce cadre, comme quelques–uns des exemples de récits appréhendés.liv Sa problématique découle même du négatif de cette situation puisque c’est la disparition de son mari avec qui l’entente et la complicité étaient totales qui est à l’origine du dysfonctionnement de sa personnalité. Ce contre-exemple nous permet ainsi de constater que quelle que soit leur situation de départ, les convertis ont tous du subir la souffrance incombant à la dégradation des liens familiaux. Implicitement, les récits, qui sont, rappelons-le, des reconstitutions sémantiques personnelles a posteriori, font tous dépendre le bonheur personnel de la nature des liens familiaux.lv Et à ce stade de la démarche de conversion, le bonheur, à en croire les narrateurs, n’est qu’un vœu pieux.
Lors de la deuxième phase du cheminement, la conversion proprement dite, de nature individuelle par essence, la famille se fait « plus discrète ». Dans un certain nombre de cas, toutefois, un membre proche de la famille apparaît comme le catalyseur de la conversion.
C’est lors de la troisième phase, celle de la réconciliation, que la famille réapparaît pleinement. Elle revêt une dimension tout autre. Lieu de conflits, de tensions ou catalyseur des dysfonctionnements avant la démarche de conversion, la famille devient un symbole d’harmonie, d’équilibre, de joie de vivre et pour reprendre un terme familier utilisé par les narrateurs de « bénédiction ». Pour les plus jeunes couples, la naissance des enfants est indiquée en commentaire final comme preuve tangible des fruits de cette bénédiction divine.
Cependant, la reconstruction de la famille, après épreuves, n’est effectuée qu’en parallèle avec son corollaire le recouvrement d’une position sociale stable ou stabilisée. Les rapports au travail, aux collègues de travail s’améliorent ; les situations financières s’équilibrent, ce qui est remarqué et souligné par les narrateurs. La famille, comprise au sens étroit du terme incarne donc en elle-même l’ordre divin recouvré. Les dysfonctionnements, relevés plus haut, ne sont que les manifestations d’une situation de la vie sans Dieu, chaotique, désordonnée, en détresse, voire en péril. Les récits de conversion livrés à l’analyse de Wesley Peach (2001) sont également unanimes à souligner ce fait. Or, là aussi, les cours Alpha se montrent fidèles à la tradition évangélique qui fait de la famille, la cellule de base de l’ordre divin, et ce, pour des raisons purement bibliques. Les exemples sont foison d’associations ou de prises de position du monde évangélique en faveur de la famille. A ce titre, le mouvement américain des « Promise Keepers » est très révélateur.lvi Car si la famille « fonctionne » à nouveau selon l’ordre divin, en pleine harmonie, c’est qu’il y a eu réconciliation et pardon. Ces deux notions, abondamment employées appartiennent au registre affectif. Leur utilisation renvoie à la réconciliation et au pardon spirituel expérimentés lors de la conversion à la personne de Jésus Christ. Leur mise en œuvre débouche sur la notion d’amour, amour reçu et amour donné, selon un schéma de don et de contre don également abondamment illustré dans le corps des récits de conversion. Le bonheur résultant de la sauvegarde du mariage est donc perçue comme une preuve empirique de la bénédiction divine résultant de la conversion, car le bonheur expérimenté est considéré comme un gage de vérité (James 1931:67).
Après son expérience de conversion, Christine se « redécouvre mère ». Elle a pris pleinement conscience de son rôle et de sa responsabilité vis-à-vis de son fils de 15 ans et de sa fille de 23 ans, qu’elle considère dorénavant comme les premières « victimes » de son désarroi passé. Voulant en quelque sorte rattraper le temps perdu, la scolarité de son fils lui apparaît désormais comme sa préoccupation principale. Quant à la réconciliation avec sa sœur, avec qui la déchirure est vivace, elle est à l’ordre du jour, chez Christine, même si, de son propre aveu, elle se présente difficile dans l’immédiat.lvii
Dès lors, la famille comme construction idéelle enracine le christianisme issu des cours alpha dans une tradition théologique ancienne.
Ce fait est à souligner et surtout à opposer à un des aspects de la dérive sectaire, qui consiste, comme le rappellent, entre autres spécialistes de la question Anne Fournier et Michel Monroy (1999) à atrophier, voire couper l’adepte des liens psychosociologiques qui l’unissent aux membres de sa famille.
Au delà de la conversion personnelle intimiste, par laquelle tout chrétien doit passer, ce construit alors pour l’individu une perspective de sociabilisation au travers de la famille en tant que structure sociale garante de sa plénitude d’être accompli.
Enfin, la famille, comme lieu terrestre privilégié de l’expression de l’ordre divin, témoigne, dans sa dynamique de recomposition à l’œuvre parmi les convertis, de la régénération de l’être biblique tridimensionnel, deuxième preuve empirique de la bénédiction divine résultant de la conversion.
On peut ainsi schématiser les temps des cours alpha dans leur rapport à l’individu d’une part, et à la société globale d’autre part :
Dans le cas de Christine, seule personne à notre connaissance ayant expérimenté dans le groupe la rencontre de Jésus-Christ durant la session des cours Alpha que nous avons suivis, l’application du schéma donne ceci :
Une « religion civique »
Au delà de la famille, c’est le comportement en société qui se transforme sous l’influence de la conversion. La dimension citoyenne, au sens éthique du terme, n’apparaît qu’indirectement voire secondairement dans le discours. Il s’agirait plutôt d’illustrer par l’exemple les principes évangéliques. C’est donc la vision des rapports entre l’individu et la société qui s’en trouvent bouleversée. Nous avons déjà soulignés, à plusieurs reprises l’importance du pardon dans la construction du nouvel être que sous tend la conversion. Cette notion est présentée comme un véritable acte citoyen car il est constitutif de lien social. Le conflit, résultat du péché, doit donc être réglé dans la perspective de construire une société plus juste et égalitaire. On peut donc parler, pour les convertis de « religion civique ». Son essence est piétiste et individualiste selon le paradigme du salut personnel, mais ses manifestations, sa visibilité, ne prennent sens qu’en fonction d’un résultat soulignant la cohésion sociale entre membres de la communauté. Quant au positionnement concernant les affaires civiles, il ne s’incarne que très rarement dans l’action politique ou syndicale, à notre connaissance.lviii Cependant, l’aide humanitaire dans le cadre d’organisations non confessionnelles, autre versant de l’action citoyenne, constitue un souhait ardent comme en témoigne par exemple Christine qui considère cette « expérience » comme l’aboutissement de son processus de conversion.
Cette « morale séculière » s’intègre parfaitement dans une analyse weberienne des rapports entre converti et société envisagée comme telle au sein du protestantisme militant (Weber 1985:230-264). L’assurance personnelle du Salut ne peut s’exprimer et se rendre visible que dans l’action sociale, mais également dans la recherche de l’harmonie et de l’équilibre entre les individus. Cette forme de « religion civique » illustre également les liens de nature qui unissent l’expérience personnelle du divin et la dynamique du processus séculier lui étant attenante de fait, comme la montré William James (1931 ; voir Taylor 2003). En effet, à l’instar de la vision pragmatique de la société mise en avant par les tenants de l’école empiriste, les convertis issus des cours alpha insistent plus sur les rapports entre croyances et vie du croyant qu’entre croyance et observation des nouveaux préceptes communautaires. D’ailleurs, les convertis ou les « régénérés » des cours alpha s’intègrent après expérience personnelle dans une multitude de confessions et de sensibilités religieuses comme en témoigne les récits.lix Cette « conversion fonctionnelle » isolée précédemment dans l’analyse du déroulement des cours, renvoie à la vision d’un christianisme non doctrinaire, revendiqué par les charismatiques en général, non pas comme une description de ce que le converti doit faire, mais comme l’expression du fondement de ce qu’il doit accomplir en tant qu’être régénéré. Et l’aspect civique sécularisé d’une telle conception religieuse ne peut qu’être bien accueillie au sein même de la plupart des dénominations chrétiennes, validant de fait, la dimension œcuménique des cours. Donc son succès.
Si la question des rapports entre « état de croyance » et engagement citoyen demeure une des questions privilégiées de la recherche en sciences religieuses, les réponses apportées sont complexes, même dans le cas d’une recherche de terrain très circonscrite. La nature subjective de la conversion, l’évolution des sentiments ou des dispositions vis-à-vis de son expérimentation, l’orientation parfois changeante des opinions issues de ce nouvel état d’être nous apprennent à être prudent quant aux résultats découlant d’un regard qui revendique son statut d’analyse anthropologique.
Conclusion
Au terme de ce bref regard ethnologique, un certain nombre de pistes se dégagent pour expliquer le succès grandissant des cours Alpha. Si leur culture chrétienne s’incarne dans la tradition du protestantisme évangélique, «christianisme de conversion», leur spécificité quant à leurs structures ne fait pas l’ombre d’un doute. D’ailleurs, les polémiques sont là pour en témoigner (voir Fath 2004).
En adaptant, à leur profit les structures communicationnelles de la société globale, les cours ont réussi le pari de faire passer avec succès un discours religieux conventionnel (celui de la conversion personnelle par l’expérimentation de Jésus-Christ comme condition d’accès au Salut) à des individus aux parcours et surtout aux cultures variés. Cet universalisme n’a d’autre part, que peu d’impact sur le contenu idéologique du christianisme professé par les cours. En ce sens, les cours alpha peuvent s’évaluer en tant que mouvement de régénération du christianisme, comme beaucoup d’autres mouvements avant eux. Leur succès témoigne de la spectaculaire capacité d’adaptation dont ils ont fait preuve tout au long de leur histoire.
C’est parce qu’ils puisent à la source même du message, en évitant le piège du dogmatisme que les cours, à l’image de la société qui les fit naître, accèdent à la dimension mondiale de leur discours. Cette source, c’est la subversion sociale intrinsèque contenue dans les Evangiles perçue comme un regard critique des choses «d’en bas» tel que le résume Jacques Ellul:
«Ainsi, le fidèle serait celui qui aurait à son tour l’intelligence et la force de dépouiller nos réalités matérielles de leur pouvoir de séduction, de les dévoiler pour ce qu’elles sont, rien de plus, et de les faire entrer dans le service de Dieu, en les déroutant totalement de leur propre foi» (2001 :291).
Ainsi, si l’on compare le message des cours alpha au projet de société contenu dans le message évangélique, force est de constater que le premier reste fidèle dans le fond au second, même si, d’un point de vue philosophique, cette accointance relève plus d’une adhésion aux fondements individualistes de notre société qu’a une essence transhistorique présupposé du message dont les cours alpha ne seraient qu’un des nombreux dépositaires. Les résultats de l’observation ethnologique, dans ce cas précis, invitent donc à la prudence face aux conclusions qu’un tel sujet est à même d’inspirer selon des modes de pensée purement intellectualistes qui aspireraient a priori à considérer le phénomène de la croyance comme le résultat unique d’une prédisposition inhérente à l’être humain. Le traitement anthropologique de ce phénomène se bornerait alors à la description des manifestations sociales découlant de la croyance. Comme nous y invite Albert Piette (2003 :37), c’est donc au défi de faire de la présence de Dieu, un objet ethnographique qu’est soumis l’ethnologue. Ce renversement de perspective est à même, comme nous le montre l’exemple du cas de Christine, de faire surgir des pistes d’analyse jusqu’à présent trop négligées par la recherche. La perspective ethnologique, dans ce sens, se présenterait ainsi comme une garantie, certes limitée, d’objectivité. Ludwig Wittgenstein dans cet ordre d’idée, nous rappelle le propre de la démarche et du projet ethnologique en ces termes :
«Quand nous employons la manière ethnologique, cela veut-il dire que nous faisons de la philosophie une ethnologie ? Non, cela veut dire simplement que nous prenons une position tout à fait extérieure, afin de pouvoir voir les choses plus objectivement» (Wittgenstein 2002:98).
Observer, participer en tant que scientifique au «religieux en train de se faire» (Piette 1999 :7), tels sont, pensons-nous, les conditions nécessaires à l’approfondissement de la connaissance objective des relations complexes entretenues par l’individu religieux et la société globale dans laquelle il existe.
Notes
i Journal télévisé de 13 heures, France 2 le lundi de Pâques 2003 ; Courier international, n° 604 du 30 mai au 5 juin 2002, p. 52.
A l’occasion de ce journal télévisé, le journaliste parle d’une augmentation pour la France de 5 à 250 églises pratiquant les cours alpha depuis 1993. Le Courier International parle d’une présence des cours dans 130 pays. Pour d’autres références dans la presse plus spécialisée, voir le site Internet www.coursalpha.org.
Il est à noter que les dates quant à l’introduction des cours alpha en France sont contradictoires : Depuis 1993 pour TF 1, depuis 1999 pour le site Internet officiel de l’organisation, depuis « 20 ans » pour le site du Centre Languedoc Evangile (CLÉ).
ii Les cours ont autant de succès dans des paroisses catholiques, protestantes et orthodoxes (ces dernières, en France avec quelques réticences toutefois) même si Mgr Dubost, chargé par le Vatican de formuler un avis sur les cours émet quelques réserves quant à la manière de faire et au fond théologique. Pour un résumé de ses positions, voir le site Internet http://www.croire.com/article/
iii Nous appelons « résultats » les conversions obtenues après la fréquentation des cours. Un bon nombre de journaux paroissiaux ou dénominationnels publient souvent des témoignages de personnes ayant fréquenté les cours et s’étant converties à leur suite. Pour ne citer que la dernière parution en date, voir Elsdon-Dew (2003). Il s’agit d’un recueil de 10 témoignages de britanniques ayant suivi les cours à l’église de la Sainte Trinité de Brompton à la fin des années 1990 recueillis par Mark Elsdon-Dew. Croire et Servir est l’organe officiel de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France, membre depuis 1916 de la Fédération Protestante de France. Quant aux polémiques, elles sont nombreuses autour des cours alpha. Nous ne pouvons pas dans le cadre de cet article étudier les raisons qui poussent les contradicteurs à argumenter contre cette méthode. Les quelques sondages que nous avons effectués à ce sujet (que ce soit au plan local ou au plan national par le biais des sites Internet) font ressortir le fait que les cours alpha laissent une part trop importante à l’interprétation personnelle du rôle du Saint Esprit et donc une porte ouverte « à la dérive théologique » comme nous l’a affirmé un « pasteur » charismatique d’un petit groupe de Montpellier. Ces nombreuses critiques et les peurs que les cours engendrent chez certains théologiens confirment de fait, paradoxalement, leur succès incontestable et leur empreinte œcuménique, loin de satisfaire l’ensemble des dénominations (aucune église pentecôtiste, à notre connaissance, ne pratique les cours alpha. D’après nos sondages, cela impliquerait la reconnaissance implicite de l’échec de leurs propres stratégies d’évangélisation qui ont fait leurs preuves).
iv Le mot promotion n’est pas anodin ici : il est employé par les organisateurs des cours et renvoie à la structure très scolaire du savoir religieux spécifique de cette assemblée destinée à être une assemblée formatrice d’ « apôtres » (Le mot est du pasteur en titre de l’église Philippe J.). Le nom de « cours Alpha » n’est pas anodin également. Il souligne la volonté de traiter rationnellement la découverte de Dieu et a été choisi en fonction du public non chrétien auquel il s’adresse. L’aspect scolaire renvoie aux notions de sérieux de neutre de légitime et d’objectif.
v Dans cet article l’auteur propose d’adopter une démarche proche du théisme méthodologique qu’il définit comme « ...une perspective (qui) devrait épouser au moins théoriquement la croyance des gens et percevoir d’emblée leur propre distance face au référent surnaturel... » (ibid. 68). On retrouve différemment exprimé sous la plume d’Albert Piette l’exigence éthique de la démarche ethnographique : procéder à la « transformation du regard en langage » (1999: 43) en se gardant de ne pas trahir ce qui est vu par soi et perçu par autrui. Voir Laplantine (1996:8).
vi Nous faisons notre la définition que donne Philippe Lyotard (1992 :76) de l’objectivisme : une démarche qui consiste à « ...se méfier des interprétations spontanées dont nous investissons le comportement observé ».
vii L’article du Courier International précédemment cité en note (1) présente les modalités de sa conversion : étudiant en droit, elle intervient alors qu’il lit le Nouveau Testament afin de le réfuter.
viii Journal télévisé de 13 heures, France 2 le lundi de Pâques 2003. Il y aurait beaucoup à dire sur l’utilisation de ce terme. Il est intéressant de noter ici le choix délibéré des journalistes concernant les anciennes activités de Nicky Gumble. En insistant sur la formation professionnelle présumée de chasseur de tête, ils en font un technicien de la communication. La maîtrise des techniques commerciales issues de la culture anglo-saxonne incite plus ou moins consciemment l’auditeur français à évaluer les résultats liés à ces pratiques en terme de rentabilité et donc en un certain sens, de malhonnêteté supposant une manipulation des consciences ou au mieux un acte de charlatanisme. La profession d’avocat renvoie plus au sérieux, à la rigueur, à la tradition et à la réussite sociale incontestable, donc en définitive, au respect. Le chasseur de tête «à l’anglo-saxonne», quant à lui, n’a pas obligatoirement de formation universitaire, qui fait fonction, en France, de caution intellectuelle absolue. Il est donc suspect aux yeux de bon nombre de personnes, consciemment ou inconsciemment.
Pour d’autres références dans la presse plus spécialisée, voir le site Internet http://www.coursalphafrance.org/organiser/presse-organiser.html.
ix Richard K. est le responsable pour le CLÉ des cours alpha. Il fait parti de l’équipe pastorale de cette communauté et est responsable de l’évangélisation en général. Cette fonction de responsable l’a fait rencontrer Nicky Gumble plusieurs fois. De nationalité britannique, il travaille à temps plein pour l’église.
L’article du Courier International est un extrait du Daily Telegraph.
x Bien que les supports vidéos utilisés lors des cours alpha soient intégralement doublés (Une société professionnelle s’occupe des doublages), l’attitude décontractée de Nicky Gumble et les réactions euphoriques de l’assemblée abondamment filmées, rendent compte de cet état de fait.
xi Ces renseignements m’ont été communiqués par Richard K.
xii Le site Internet du CLÉ parle de 117 pays http://www.clevangile.org/prog_alpha.htm Richard K. parle de 132 pays (le site du CLÉ n’étant pas à jour).
Le nombre de sites Internet consacré en totalité ou en partie aux cours alpha est considérable. Il suffit de taper « cours alpha » sur un moteur de recherche pour en avoir une idée plus précise.
xiii La réponse scientifique à une telle question impliquerait une enquête pluridisciplinaire alliant théologie, sociologie, ethnologie et psychologie, sans oublier l’arrière plan philosophique.
xiv Voir le site Internet officiel des cours Alpha pour la France (http://www.coursalpha.fr).
xv L’église de la Sainte Trinité de Brompton est une paroisse charismatique appartenant à la mouvance de la « Low Church » à l’intérieur de l’Anglicanisme, ce que l’on peu considérer, en France, comme la tendance évangélique du protestantisme (voir: Willaime 1995:33). Le fait que les cours se terminent par le « week end du Saint Esprit », marque d’une part l’orientation charismatique du contenu, d’autre part crée des barrières entre les différentes sensibilités chrétiennes. Ce point « sensible » catalyse la plupart des querelles incombant aux cours.
xvi Il est à noter que les cours alpha ne « travaillent » pas pour l’œcuménisme au sens historique du terme. Leur but premier n’est pas l’unité de tous les chrétiens, mais « l’annonce de la vérité du message de Jésus-Christ sous sa forme la plus simple ». Cette position intermédiaire entre œcuménisme et fondamentalisme (c’est-à-dire, dans ce cas précis, hostile à l’œcuménisme et non du point de vue théologique), nous paraît innovante et digne d’être explicitement soulignée car elle relève d’une vision globale du fait religieux à partir d’une expression particulière de la croyance et d’un projet de société.
xvii Cet aspect n’est pas l’apanage du mouvement charismatique. Les mouvements évangéliques ont su très tôt utiliser les moyens modernes de communication comme en témoigne l’abondante littérature en tout genre sur le phénomène des télévangélistes ou des « églises électroniques ». La tendance œcuménique des cours souligne également l’orientation intellectuelle de l’évangélisation propre aux mouvements charismatiques en général. Une sociographie approfondie des mouvements charismatiques protestants reste encore à faire pour confirmer ce dernier point.
xviii Dans ce cas précis, nous entendons par « autres dénominations » toutes les églises non charismatiques, même si la mouvance charismatique n’est pas elle-même une dénomination.
xix Nous avons pu constater et évaluer la place que prend dans la pastorale le thème que l’on peut intituler, d’une manière un peu lapidaire, « l’illusion d’être un chrétien régénéré ». Le thème central à toutes les dénominations évangéliques, à savoir celui de la perfectibilité du chrétien devant son Sauveur, prend un relief beaucoup plus radical en milieux charismatiques.
xx Cet aspect des activités de l’église locale est souligné dans la brochure rédigée par le pasteur en titre du CLÉ Philippe J. Bienvenue au Centre Languedoc Evangile et destinée aux nouveaux paroissiens. Le chapitre 3 du paragraphe consacré à l’évangélisation s’intitule « L’évangélisation : le cœur de la mission de l’Eglise, sa raison d’être ».
xxi Le CLÉ se sent investi d’une mission d’évangélisation particulière pour la ville de Montpellier comme en témoigne la brochure citée en note 26 mais aussi l’exhortation à ce sujet qui anime bons nombres de sermons du pasteur Philippe J. Cette évidence fait parti de sa « vision de l’église ». A cet effet, il n’hésite pas à parler du pourcentage espéré de convertis pour faire « changer la face de la ville » (qui serait de 2%). Ce discours « empirique » se rencontre fréquemment chez les pasteurs d’ outre Atlantique. Le CLÉ est effectivement très empreint de culture américaine quant à sa façon de vivre et d’annoncer l’Évangile.
xxii Le terme de « terrain » fait parti du vocabulaire technique communément utilisé en ethnologie. Il désigne à la fois le sujet général étudié par le chercheur (dans ce cas précis « les pentecôtisants ») et le « territoire » arpenté par l’ethnologue pour réaliser sa recherche. Ainsi, pour être un ethnologue « accompli », il faut choisir un terrain que l’on délimite et que l’on s’approprie afin de se garantir aux yeux de la communauté scientifique l’aptitude requise pour une recherche ethnologique digne de ce nom. Le terrain est ainsi la raison d’être de l’ethnologue en action. Voir François Laplantine (1996:14): « ... la présence de l’ethnologue sur le terrain (" aller voir sur place ”, " y être allé ” et “y revenir souvent”) est la seule voie d’accès au mode de connaissance que nous poursuivons. Ainsi, Claude Lévi-Strauss qualifie t-il le terrain de “ révolution intérieure qui fera du candidat à la profession anthropologique un homme nouveau ”. Georges Condominas écrit quant à lui qu’il est le “ moment le plus important de note vie professionnelle ”, “ notre rite de passage ” qui “ transforme chacun d’entre nous en véritable anthropologue ” ».
xxiii Le culte café croissant semble être un des actes fondateurs du CLÉ comme nous l’a indiqué un des premiers responsables historiques aujourd’hui en retrait vis-à-vis de l’église. Le centre serait né d’un groupe de jeunes ayant pris l’habitude de se réunir en cité universitaire autour d’un café lors du petit déjeuner. Cependant, cette pratique rappelle sans équivoque les réunions des Hommes d’Affaires du Plein Evangile, mouvement d’inspiration pentecôtiste qui organise parfois des réunions autour du petit déjeuner dans des salles d’hôtels. Nous avons personnellement assisté à une telle réunion en 1999 à l’hôtel Ibis de Montpellier. Le contenu des réunions est similaire (montage vidéo en moins).
xxiv Propos tenus par le pasteur Philippe J. lors du culte précédant la réunion.
xxv Sainte Thérèse est une paroisse catholique du centre de Montpellier.
xxvi La plupart des participants se sont inscrits également lors du culte café croissant.
xxvii On peut aisément la confondre avec une croix huguenote, car le CLÉ tient à affirmer son appartenance au protestantisme comme le montre la brochure de bienvenue (voir note 26). L’auteur exprime le souhait de voir le CLÉ prochainement membre de la Fédération Protestante de France. La brochure se termine en effet (p. 43) par la reproduction du « certificat de protestantisme » donné par le secrétaire général de la Fédération qui atteste en substance que le CLÉ « exprime une des réalités de l’identité protestante ». Ce certificat date du 2 décembre 1997. Le secrétaire général d’alors était le pasteur Christian SEYTRE. On peut déduire que cet attachement inattendu et soutenu du CLÉ au protestantisme est plus à mettre sur le compte de la prudence que de l’adhésion aux idées de liberté et de tolérance communément dévolues au protestantisme par l’opinion publique. En étant reconnu protestant, le CLÉ se met plus à l’abri face aux accusations de « secte » que peuvent lui asséner depuis le fameux « rapport VIVIEN » certaines personnes critiques à l’égard des nouveaux mouvements religieux. C’est en 2003 que le CLÉ a changé de local pour s’expatrier dans la zone commerciale de la ville.
xxviii J’associe immédiatement cette vision à une pensée du Ludwig Wittgenstein (2002 :131): « La sagesse, est grise . La vie au contraire et la religion, sont pleines de couleur ».
xxix Je suis en effet volontairement en avance par rapport à l’horaire indiqué au préalable sur le tract d’inscription. Cela fait partie des nombreuses pratiques du chercheur en « situation ».
xxx Le CLÉ loue ce local. Depuis 2002, l’assemblée a changé de lieux de culte après avoir acheté un ancien entrepôt dans une autre zone artisanale de la ville.
xxxi Au moment où j’ai commencé les cours alpha, je n’étais qu’au début de mon investigation ethnographique. Je ne connaissais que peu de monde à l’église que je ne fréquentais que le dimanche pour le culte. La rencontre des responsables des cours alpha m’a permis d’approcher au plus près l’église du CLÉ dans l’étude de ses activités. Richard, Christiane et surtout Franck sont ainsi devenus de précieux informateurs.
xxxii Cacher ses intentions ne part pas d’un sentiment de défiance ou de malhonnêteté vis-à-vis des observés. Cette attitude est recommandée afin de ne pas interférer et de ce fait biaiser les observations en influençant (involontairement) les observés dans leurs discours leurs opinions ou leurs comportements
xxxiii Les cours se présentent en 15 leçons réparties sur 10 séances. Pour des raisons pratiques, la session 2001 du CLÉ a été ramené à 8 séances. Sur les huit séances prévues, je n’en ai manqué qu’une. L’assiduité des uns et des autres fut d’ailleurs très variable selon les individus. Christine ainsi que les membres du CLÉ furent d’une assiduité remarquable. A l’opposé, Thérèse ne fit que de rares apparitions.
xxxiv Ce livret est offert gratuitement à chaque participant. Son orientation pédagogique apparaît clairement lorsque l’on sonde son contenu : phrases à retenir, résumé des cours, plan de l’intervention, questions importantes, place pour la prise de notes… Il s’apparente sans difficultés aux cahiers pédagogiques largement diffusés en milieu scolaire. Richard n’y a jamais fait référence et ne l’utilisera jamais comme support.
xxxv Les trois animateurs sont Richard, Isabelle et Franck.
xxxvi Jean-Pierre s’est révélé, plus tard dans les discussions comme relevant d’une problématique mystique quant à ses orientations théologiques. Bastide (1996 :46) rappelle, qu’il y a bien « homogénéité suffisante des expériences mystiques » quelles qu’elles soient.
xxxvii Richard, Christine, Christiane et Franck sont les membres du CLÉ avec lesquels j’ai développé les relations les plus poussées. Les cours alpha en sont à l’origine.
xxxviii Après deux séances, la véritable raison de ma présence est « démasquée ». Je ne peux plus cacher mes intentions aux participants et ce, pour deux raisons :
Ma prise de notes écrites et mon attention à tous ce qui se dit a éveillé la curiosité. Je dois m’expliquer et le mensonge est exclu pour des raisons évidentes de déontologie.
Je m’aperçois que Christine et Rose focalisent l’attention des membres du CLÉ. Donc ceux-ci ont tendance à porter moins d’attentions à mes réactions possibles ce qui a l’avantage de ne pas influencer le contenu de nos discussions. Par compassion, en effet, mais surtout par crainte d’être mal jugés, les membres du CLÉ, lors des discussions ont tendance à s’autocensurer. Ils rationalisent à l’extrême le fond de leur pensée en employant, parfois l’auto dérision pour légitimer telle ou telle vision du monde. Mais lors des cours, c’est Christine qui focalise l’action de Richard de Jean Pierre et de Christiane. Il ne s’agit donc plus de faire « bonne figure » vis-à-vis des individus extérieurs tel que je peux les représenter, mais de répondre à une mission spirituelle, celle là même pour laquelle ils sont destinés. Ils m’apparaissent enfin à découvert sans filtre, tel qu’ils peuvent se présenter dans leur relation vivante à Dieu.
xxxix Les cassettes introduisent chaque soirée, mais comme nous l’avons déjà souligné ne sont guère exploitées par Richard. Il se contente a priori de reprendre l’intitulé de la problématique de la soirée et de la proposer à la réflexion pour chaque participant. Cependant, les discussions que j’ai engagées avec lui font ressortir le fait que les responsables locaux reçoivent une formation très poussée.
xl Un certain nombre de récits étudiés témoigne d’un fait similaire. Le narrateur, par « hasard », assiste à une conférence dont le sujet est « fait pour lui » et l’interpelle directement. Voir par exemple les récits de R. Taylor et de R. Daniell dans Les Carnets de croire et servir.
xli Cet épisode de la vie de Nicky Gumble est repris dans l’article publié par le Courier International (voir note 11). Le thème des « tentatives de résurrections déçues » nous est apparu assez fréquent dans les milieux pentecôtisant durant le temps de notre enquête.
xlii Guignebert (1910:49)
xliii Le sens est connu de tous sous la métaphore des brebis égarées.
xliv Il s’agit des récits de conversion relatés dans Les Carnets de Croire et Servir précédemment cités en note 3 et Peach (2001).
xlv A partir de la date du culte café croissant.
xlvi La valeur absolue de ce fait est clairement explicitée par l’utilisation du terme de rupture.
xlvii Jusqu’où peut-on s’engager dans « le monde » en restant en dehors de son influence (de sa séduction pour reprendre un terme biblique) constitue la grande question posée aux évangéliques en général et aux pentecôtisants en particulier. Un des responsables du CLÉ m’a proposé, à mon grand étonnement il y a quelques temps, d’aller discuter un soir autour d’une bière dans un pub irlandais très connu à Montpellier. Nicky Gumble a fait de même mais dans un bar à vin « branché » de Londres si on en croit le récit de conversion d’Ann Wynn (Elsdon-Dew, 2003 : 31).
xlviii Cette double temporalité ne se vit pas séparément mais s’organise comme une juxtaposition formant l’unité de la réalité (voir: Bastide 1956 :88-89).
xlix Le terme de modèle ne doit pas pour autant masquer le sens que leur donnent les cours. Il s’agit dans ce cas précis d’un modèle « ouvert » qui s’impose plus par conviction que par devoir.
l Il est intéressant de souligner, à ce propos, que Jacques Ellul (2003) oppose, dès 1973, cette forme de spiritualité à la théologie de la mort de Dieu, courant théologique alors dominant.
li Le concept de marginalité culturelle a été développé par Roger Bastide dans le cas des métis d’Amérique latine. Il paraît adapté, pour l’anthropologie religieuse, dans le cas des personnes converties en milieu pentecôtisant. D’ailleurs, il est intéressant de souligner que Roger Bastide donne lui-même l’exemple des puritains d’Amérique du nord pour illustrer son propos à ce sujet. Il rappelle que les personnes en situation de marginalité culturelle sont souvent beaucoup plus créatives et adaptables, étant par là même à la pointe du changement social ce qui corrobore nos observations, notamment pour le cas de Christine (voir: Bastide 1998 :109-110).
lii La formation des responsables locaux est prise en charge au niveau national. Elle se fait par stages. Je n’ai pu en suivre bien que je fus invité .
liii L’étude présente ne porte pas sur une analyse exhaustive du contenu des cassettes des cours mais sur l’intégralité des séances et leur analyse a posteriori.
liv Hormis l’exemple de Christine que nous avons directement analysé, les récits de conversion publiés par Les Carnets de Croire et Servir et servir sont les suivants :
Mary Stephenson, 30 ans environ au moment de la conversion. Catholique d’origine, ex droguée, voleuse. Père adoptif (p. 9-19) ; Richard Daniell, moins de 30 ans, drogue, alcool, occultisme du à la musique « Hard Rock ». Parents croyants (p. 21-27) ; James et Anna Wynn, age? Séparés en 1985. Conversion de James en 1987. Reconstitution du couple. Naissance de deux enfants (p. 29-37) ; Robert Taylor, age 30 ans. Cancer. Quitte son foyer conjugal. Guérison. Mariage « ressoudé ». Devient animateur cours Alpha. (p. 39-45) ; Nick Sebley, age 30 ans environ. Marié. Irritable, alcoolique. Problème de santé. Guérison miraculeuse. Fréquente les cours Alpha. Songe, baptême du Saint Esprit lors du « Week-end du Saint Esprit ». Mariage sauvé. « Nous sommes beaucoup plus heureux ». Conversion de 6 membres de sa famille dont un cousin alcoolique(p. 47-53) ; Jaleh Mac Donald, age environ 35 ans. Iranienne. Sa maladie lui impose une solitude sociale. S’adresse à Dieu. Vision. Conversion. Plus tard, cours Alpha. Plus de foi. Mariage. Responsable des cours Alpha dans une église baptiste (p. 54-59) ; Barry et Sandy Meaney, environ 40 ans. Anglais d’Australie. Barry est le patron de Sandy. Liaison. Conversion. Chacun divorce de son côté. Se remarient. Fréquentent Brompton. Famille « transformée » (p. 61-68) ; Rosalie Ryder, age? Parents violents et alcooliques. Mariage raté, battue. Divorce. Remariage. Conversion. Cours alpha. Famille recomposée (p. 69-76) ; Ginney Quay, environ 30 ans. Malaysienne polythéiste. Attiré par le christianisme grâce à une tante chrétienne. Mariage en Angleterre. Cours Alpha. Conversion des deux époux. Retour en Malaisie. Naissance de 2 filles et d’un fils ( p. 77-82) ; Jonathan Cavan. Adolescence très difficile. Rapports conflictuels avec le père. Sexe, drogue, alcool, astrologie. Impression de vide. Travail chez Microsoft. Habite Brompton. Cours Alpha par « hasard ». Conversion. « J’ai beaucoup plus de paix qu’auparavant ». Mariage avec Helena. Quitte Microsoft et devient pasteur.
lv Cette reconstitution a posteriori implique la prise en considération de la dimension performative donnée au récit par le narrateur afin d’orienter le lecteur vers un sens qu’il considère comme LE sens (unique) de l’histoire racontée. Voir : Poirier, Clapier-Valladon & Raybaut (1989).
lvi Les « promise keepers » forment un mouvement masculin né aux Etats-Unis en 1990 dans les milieux évangéliques, qui prône le retour des maris et des pères à la fidélité et au respect envers leur famille en général et envers leur épouse en particulier. Leurs rassemblements spectaculaires dans des stades au cours desquels des milliers d’hommes, souvent en pleurs promettent de changer de comportement frappe souvent les sensibilités. Voir à ce propos, la vision réductrice d’Ingrid Carlander (1996). Cette question n’échappe pas au plus célèbre des prédicateurs, Billy Graham, comme le rapporte Jean Bauberot (1988:160).
lvii Propos tenu par Christine lors d’un entretien que nous avons effectué en novembre 2003.
lviii Ces mêmes observations se retrouvent en partie dans les milieux charismatiques catholiques comme l’a montré Pina (1997; voir Pierre-Louis Lavigne 2004).
lix Les récits livrés par les Carnets de Croire et Servir précédemment cités mentionnent l’intégration de certaines personnes à l’intérieur des dénominations ou églises suivantes : catholicisme, anglicanisme, baptisme, adventisme, église presbytérienne.
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